All that is solid melts into air

France(s) territoire liquide

Héritier de la mission photographique commandée par la DATAR en 1983, France(s) territoire liquide, a réuni, depuis 2011, 43 photographes pour proposer une représentation plurielle de la France d’aujourd’hui. Conçue comme un laboratoire, cette mission a permis au collectif de photographes, aux techniques et pratiques diverses, d’explorer de nouvelles voies en vue de dépasser la simple représentation du réel et d’apporter un regard artistique original et une vision inédite de notre paysage à un large public.

La mission a été dévoilée pour la première fois à Lille en 2014 au Tri Postal dans le cadre des Transphotographiques et le sera en 2017 à la BNF à Paris.

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Au cœur du brouillard

Au départ il y a une forte envie de travailler autour des deux cheminées du centre d’incinération d’Ivry. Inlassablement, ses deux volutes de fumée –en réalité de la vapeur d’eau- s’élèvent dans le ciel établissant un dialogue avec la ville et un jeu sans fin avec les éléments. Leur fluidité insolente me pousse rapidement à laisser la photographie pour le film. J’ai filmé d’une voiture roulant sur le périphérique et le mouvement annulait le mouvement. J’ai filmé à partir d’endroits très éloignés pour voir comment les cheminées s’inséraient dans la ville et je m’ennuyais. Je me suis interrogée alors sur ce qui profondément me mouvait : la fumée brute, le mouvement de la matière. C’est là où je voulais être, au cœur du brouillard. J’ai recherché un point de vue idéal pour un face à face. J’ai repéré l’immeuble Le Berlier, obtenu l’autorisation d’accéder à sa terrasse. Il fallait trouver une caméra avec une certaine définition et une longue focale : demander à TSF de nous prêter une Red Epic et un 250mm, convaincre Sophie Cadet d’opérer et dealer avec le froid, la pluie, le soleil et le vent… Le 28 janvier à onze heures, les volutes et les nuages ne faisaient qu’un. La vitesse du vent était très élevée. En arrivant là-haut, nous avons posé la caméra et filmé dans l’urgence. Il nous semblait que ce qui s’offrait à nous ne serait plus jamais. Nous sommes revenues plusieurs fois et aucune de ces visites n’égala la première : La vitesse à laquelle la fumée s’enroulait sur elle-même donnait l’impression qu’en dessous le monde s’était emballé. La quantité de vapeur d’eau recrachée était colossale et tapissait le ciel. Quel spectacle, les gris et les noirs se mêlaient, les blancs explosaient au contact du soleil et tout cela dans un mouvement soutenu et régulier. À de brefs moments, la colonne de fumée reprenait le contrôle en se hissant vers le ciel, droite comme un I, découvrant un bleu mouvementé. Ce fût fascinant et effrayant à la fois. Nous restâmes là des heures durant et rien ne vînt arrêter la folie des hommes. Nous assistions à une sorte de chaos. Plus tard en découvrant les images, l’idée d’inverser le sens du flux s’est imposé à moi. Oui, transformer ces cheminées crachantes en de véritables siphons ravalant le trop-plein et l’emmenant au centre de la terre.